Le banquet des Classiques



Par André Daviaud.

Qui n’a pas entendu parler d’un repas gargantuesque ?

 "Lors de son premier anniversaire, les parents de Gargantua, ainsi que leurs amis offrirent à celui-ci un gigantesque repas.
Pour l'entrée, cinq charrettes de pommes de terres et de côtes de boeufs lui furent apportées. La voracité de Gargantua fit rage. Pour ce début de repas, il eut aussi droit à quatre tonneaux de vin apportés dans deux calèches différentes, mais toutes deux imposantes, deux cochons de lait, une marmite de sirop d'érable, six perdrix, dix bécasses ainsi qu'une demi-douzaine de pigeons.
Ayant fini son entrée, l'enfant restait encore sur sa faim. C'est alors qu'arriva le plat principal. Il était composé de cuves et de citernes de bière, d'une dizaine de plateaux de poulets, de deux vaches entières accompagnées d'une délicieuse sauce au beurre, sauce que Gargantua apprécia fortement, le tout accompagné de dizaines de brouettes de légumes tel que des navets, carottes, choux et bien d'autres encore.
L'enfant, les papilles en " ébullition ", tout au long de ce gigantesque festin fut ravi. Ses parents ne furent pas étonnés en constatant la gloutonnerie de leur fils. En effet depuis sa naissance et à chaque repas ce dernier se goinfrait de tout ce qu'on lui présentait, sans oublier pâtisseries et autres bonbons, ainsi que des sucreries pour le goûter. Pour ce plat principal, les parents de Gargantua et son précepteur, ne furent donc pas étonnés de l'appétit démesuré du jeune garçon.
Enfin, vint le dessert, le moment préféré de Gargantua dans les repas. A lui tout seul, il mangea deux pièces montées, puis continua à saliver d'avance en attendant la suite de ce majestueux dessert. L'enchaînement de toutes les pâtisseries, choux à la crème, pains d'épices, riz au lait et d'autres encore fut gargantuesque. Gargantua ayant encore un peu de place dans son estomac, et, ses parents voyant cela, ils lui apportèrent la suite. Une tonne de confiseries, bonbons et autres friandises lui furent amenés par une centaine d'hommes. C'est ainsi que se termina le repas d'anniversaire du géant Gargantua. Celui-ci finit par s'endormir et fit encore, comme toujours, des rêves liés à la nourriture."

Extrait de Gargantua (1534, écriture modernisée) de François Rabelais. Son père, en découvrant son fils qui réclame à boire, s'écrie : « Que grand tu as !», sous-entendant la taille du gosier, d’où le titre.
Rabelais, Gargantua, Gallimard (col. Folio Classique), 2007 (1534), 688 p.


Dans Le Satyricon, que l’on considère comme le premier roman de l’Antiquité, l’auteur latin Pétrone raconte un festin donné par un certain Trimalchion, habilement mis en scène.

"On apporte un premier service des plus somptueux ... Des arceaux en forme de ponts supportaient des loirs saupoudrés de miel et de pavot. Il y avait aussi des cervelas placés brûlants encore sur un gril d'argent ; et par-dessous, en guise de charbons, des prunes de Syrie et des grains de grenades.
A l'élégie succéda le second service, dont en vérité la splendeur ne fut pas selon notre attente. Sa nouveauté pourtant attira tous les regards. C'était un surtout en forme de globe, représentant les douze signes du Zodiaque rangés en cercle. Par-dessus chaque signe le maître d'hôtel avait placé le mets analogue et correspondant : sur le Bélier, des pois chiches cornus ; sur le Taureau, une pièce de boeuf ; sur les Gémeaux, des testicules et des rognons ; sur l'Ecrevisse, une couronne ; sur le Lion, des figues d'Afrique ; sur la Vierge, une matrice de jeune truie ; sur la Balance, deux bassins couverts, l'un d'une tourte, l'autre d'un gâteau ; sur le Scorpion, un petit poisson de mer de ce nom ; sur le Sagittaire, un lièvre ; sur le Capricorne, une langouste ; sur le Verseau, une oie ; sur les Poissons, deux surmulets. Au centre, une touffe de gazon ciselée se couronnait d'un rayon de miel. Un esclave égyptien portait à la ronde du pain dans un petit four d'argent… Ensuite venait un plateau sur lequel se carrait un sanglier de la plus forte taille. Il était coiffé d'un bonnet d'affranchi, et de ses défenses pendaient deux corbeilles, en branches de palmier, pleines, l'une de dattes de Syrie, l'autre de dattes de la Thébaïde. Il était entouré de marcassins, faits de pâte cuite au four qui, comme tendus vers les mamelles, indiquaient que c'était une laie.
Pour dépecer ce sanglier, ce ne fut pas ce Coupez qui avait servi les volailles qui se présenta, mais un barbu très grand, aux jambes entourées de bandelettes et portant un habit de chasseur. Tirant son couteau de chasse, il en donna un grand coup dans le flanc du sanglier : par la plaie béante sort un vol de grives. Des oiseleurs étaient là avec des gluaux qui, en un instant, s'emparèrent des oiseaux volant autour de la salle. Trimalchion en fait donner un à chacun de nous, et il ajoute : « Voyons un peu de quelle sorte délicate de glands se nourrissait ce gourmand. » Aussitôt des esclaves s'emparent des corbeilles suspendues aux défenses et distribuent par portions égales les dattes de Syrie et de Thébaïde aux soupeurs.
"
Petrone, Satyricon, Flammarion, 1993 (1669), 275 p.

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