Pérégrinations

 


Par France Rioual.

La logique eut été de me rendre sur la côte est.
 Une amie Causeuse ne tarissait pas de souvenirs inoubliables à Philadelphie, New-York, Providence. Et puis, j'avais un fiston qui vivait à Boston. Comme souvent avant, pendant et après un voyage, j'entamai de m'imprégner de l'atmosphère de celle à laquelle, je ne pouvais, selon les dires de tous, échapper : New York. L'occasion était belle de m'attaquer au bûcher des vanités. Et je n'ai pas été déçue du... "voyage"! Le roman de Tom Wolfe fait partie de ces livres qui, lorsque vous les ouvrez, vous ne parvenez plus à les fermer. Initiateur du Nouveau Journalisme, une forme de journalisme qui introduit des procédés littéraires sans nuire à la véracité des faits, l'auteur campe un portrait géo-politique de la ville. Situé principalement dans deux des cinq arrondissements de NewYork, Manhattan et le Bronx, le récit met en scène un de ces "maîtres de l'univers" comme se nomme lui-même le personnage principal alias Sherman McCoy. Protestant de souche, il a fait Yale, habite Park avenue, travaille à Wall Street et fait partie de ceux qui gagnent 500 000 $ par an à 30 ans et peuvent espérer 1 million à 40. Il est marié, a une fille et, bien entendu, une maîtresse. Il aura suffi d'une petite erreur de direction pour que le Wasp pur jus (White Anglo Saxon Protestant) connaisse une dégringolade sans fond mais aussi peut-être "la vraie vie", celle qui le propulse dans "un quartier à 70 % Noirs et Latinos et où 40 000 personnes sont arrêtées chaque année". Un drame à la George Floyd où notre héros se retrouve au centre d'enjeux de pouvoirs politique, judiciaire et médiatique qui vous font ne pas le détester tout à fait. Car, la vanité est affaire de tous. 
 


Natchez


Des relents et réminiscences me mèneraient ailleurs. La faute peut-être à Hannibal, village qui servira le St-Petersburg de Mark Twain dans Les aventures de Tom Sawyer. La faute, plus sûrement, au fleuve Mississippi bordé de villes aux noms mythiques, à l'histoire marquée par le colonialisme et l'esclavage. Le fleuve me conduirait jusqu'en Louisiane. Dans son roman intitulé précisément La Louisiane, Julia Malye évoque ces villes naissantes du sud à travers le destin de trois femmes, parmi les quatre-vingt-dix qui seront déportées, au 18ème siècle, depuis La Salpêtrière à Paris jusqu'aux côtes du Golfe du Mexique, en vue de peupler les colonies françaises. Il s'agit de fixer les populations confrontées à un climat subtropical humide, une faune et une flore agressives et un fleuve indomptable. D'un intérêt historique évident, le récit retrace la révolte des Natchez, une communauté native. Les populations noires asservies à leurs côtés, ils massacrent  hommes, femmes et enfants français. La répression sera terrible. Des Natchez, il ne reste plus, aujourd'hui, que le nom de la ville homonyme. 



La Nouvelle-Orléans


Le Mississippi me conduirait à La Nouvelle-Orléans. Parmi les plus touristiques du pays, la ville figure aussi parmi les plus dangereuses. Construite sur le delta du fleuve, elle sera, souvenons-nous, inondée à 80% lors du passage de l'ouragan Katrina en 2005. Le bilan est lourd : plus de 1800 morts dans la région dont la moitié à La Nouvelle-Orléans. Trêmé, du nom d'un quartier défavorisé et particulièrement touché, sera d'ailleurs mon premier contact avec la ville. L'excellente série réalisée par David Simon et Eric Overmyer nous raconte comment ses habitants, dans toute leur diversité, se relèvent d'un tel drame.  L'esprit de fête et la musique ne sont pas vaincus. Ils jalonnent les épisodes comme ils jalonnent la ville. C'est ce que je constaterais sur place. C'est aussi ce que craint Ignatius Reillys, le personnage haut en couleurs de La conjuration des imbéciles, lorsque sa mère, lasse de le voir, à plus de 30 ans, traîner à la maison, lui enjoint de trouver un emploi. Après une expérience plutôt malheureuse au sein de la firme des Pantalons Levy, où "les ateliers combinent les pires aspects de La Case de l'Oncle Tom et du Métropolis de Fritz Lang", Ignatius qui a suivi des études universitaires, devient vendeur de saucisses dans le quartier français connu pour être, toujours selon notre personnage "le repaire de tous les vices". Cynique, irrévérencieux mais tellement réaliste, il guide le lecteur à travers les rues de La Nouvelle-Orléans, tantôt qualifiée d'exubérante, tantôt de stagnante. La comédie burlesque au récit châtié laisse la part belle au parler populaire. Les références historiques et littéraires sont nombreuses. Un livre qui ne ressemble à rien de lu auparavant et qui, contre toute attente, allait me ramener à New York. C

Et aussi, 

C'est une visite atypique de la ville, que nous dessine Julia Wertz dans Les entrailles de NewYork. Hors des sentiers battus, elle explore la petite histoire à travers l'étude architecturale des lieux qu'elle parcourra ses 10 années passées à NewYork.

A Natchez, les maisons de planteurs vous ouvrent leurs portes.  Un luxe à vous faire oublier que la ville fut le plus important marché d'esclaves de la région. Et qu'un dénommé Richard Wright y est né. À retrouver, dans Black boy,  le récit d'enfance, dans un contexte de ségrégation raciale, du premier grand romancier noir suivi d' Une faim d'égalité qui se déroule à Chicago où Richard Wright s'installe lorsqu'il fuit le Sud.

Mark Twain, Les aventures de Tom Sawyer, Gallimard Jeunesse, 1995 (1876), 284 p. Commentaires par Michel Fabre des photos, gravures et documents publiés en marge du récit particulièrement intéressants.

On peut éviter, Baton Rouge de Patricia Cornwell. Le roman policier aura trouvé, chez moi, le seul mérite de me mettre en garde contre les alligators et les mocassins des bayous. Après tout, cela ne s'est pas avéré inutile... Calmann Lévy Crime, 2004, 440 p.

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