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Par France Rioual.

Mobilisant lectures et visionnages relatifs à la cuisine, j'ai concocté un menu. Entrée-plat-dessert. Avec amuse-bouches en prime et trous normands pour faciliter la digestion. Je vous souhaite un bon appétit !

En amuse-bouches, je vous propose La singulière tristesse du gâteau au citron de  Aimée Bender et Les recettes de la vie de Jacky Durand. On y encense l'aliment produit par un cultivateur attentif, transformé par une cuisinière respectueuse et servi sur une nappe à carreaux. Sur fond d'histoire familiale, les protagonistes des deux récits parviendront à leurs fins : se consacrer à une cuisine généreuse et savoureuse.

Question générosité, et il s'agira là de l'entrée, il n'y a guère mieux, à mon sens, que Babette. J'ai, l'espace d'un réveillon de Noël, tenté de rivaliser avec les cailles en sarcophage de l'héroïne de Karen Blixen. Présomptueux.  Du Dîner de Babette, nouvelle publiée dès 1950,  le réalisateur danois Gabriel Axel  fera un Festin, couronné, à juste titre, de l'Oscar du meilleur film étranger en 1988.  Fuyant la répression de la Commune, Babette trouve refuge dans un petit village du Jutland. Lorsqu'elle gagne à la loterie, elle investit tout l'argent dans la préparation d'un somptueux repas au profit de la communauté religieuse rigoriste qui l'a accueillie. Les Délices de Tokyo de Durian Sukegawa, publié en 2013, a aussi été l'objet d'une très belle adaptation cinématographique signée Naomi Kawase en 2015. Les dorayakis, ces pâtisseries japonaises à base de haricots rouges cuisinées par Tokue, et dont je me suis promis de tester la recette, relancent la boutique de Santarô. On aurait pu penser qu'à 76 ans, Tokue en avait terminé avec l'Histoire, celle d'un pays qui emprisonnera ses malades victimes de la lèpre. C'était sans compter sur l'ignorance et aussi l'imbécillité. Passons... au trou normand.

Je n'ai "toujours pas?" de cuisine aménagée, je ne cours pas après l'électro-ménager mais... quiconque à la maison connaît mon attachement à un certain couteau. Le couteau de ma mère de Kim Ae-ran, nouvelle parue dans le recueil Cocktail Sugar et autres nouvelles de Corée sera mon premier trou normand.


Ça flatule et ça vomit


Maintenant le plat de résistance. Oubliez toute modération. Quatre amis s'enferment dans une villa et mangent tant et tant. C'est La Grande bouffe du réalisateur Marco Ferreri. Un homme erre dans les rues d'une ville, l'estomac vide. C'est La faim de l'écrivain Knut Hamsun. Deux oeuvres où la nourriture vire à l'obsession et qui explorent le trop plein ou le pas assez d'aliments sur le corps humain, une mécanique soumise à bien des vicissitudes. Ça flatule, ça vomit et ça délire. Éprouvés, les "cas cliniques" flirtent avec la mort quand ils n'aboutissent pas à celle-ci.  Le film, très controversé à sa sortie en 1973 mais devenu culte depuis, nous dresse le portrait d'une bourgeoisie désabusée et décadente. Le livre publié en 1890 qui m'avait fait grande impression lors d'une première lecture il y a trente ans, n'a pas démérité lors de ma récente  relecture.  Les enchevêtrements de la pensée humaine exposent à bien des comportements. Knut Hamsun reçoit le prix nobel de littérature en 1920. Manifestant de la sympathie pour le parti nazi, il offrira sa médaille à Goebbels.

Le cochon de papy Marcel 


Sur ce, vous reprendrez bien un trou normand ? Naïvement, j'avais accompagné la tranche de jambon présentée dans l'assiette d'un encourageant "Miam, le cochon de papy Marcel!" "Veux pas manger le cochon de papy Marcel" avait fondu en larmes, du haut de sa chaise haute et de ses deux ans, ma fille qui avait vu grandir l'animal chez son grand-père et nourri pour lui une affection certaine. C'est ce qui se produit chez Paule, le personnage  du Chant du poulet sous vide de Lucie Rico lorsqu'elle retourne à la ferme familiale. Contrainte de reprendre l'élevage de poulets, elle s'attache aux volailles au point d'imaginer pour elles une exploitation délirante.

Enfin, pour le dessert, j'ai réservé quelques gourmandises concoctées par Philippe Delerm. La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules est un recueil de textes courts, d'aucuns parlent de poèmes en prose, qui vous font déguster l'instant. Celui où l'on écosse les petits pois, ramasse les mûres ou achète les gâteaux du dimanche matin. C

 

Et aussi

Philippe Delerm, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, Gallimard (col. L'Arpenteur), 1997, 92p. / Cocktail Sugar et autres nouvelles de Corée, Zulma, 2011, 382 p. Parmi les nouvelles Les chiens au soleil couchant de Han Kang (ou Gang), la prix Nobel de littérature 2024 !

 

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