2,10 mètres

 

Par Marie-Annette Lucas.

Dans le roman de Jean Hatzfeld intitulé deux mètres dix, ce chiffre est la hauteur que rêvent d'atteindre les sauteuses en hauteur de niveau olympique en technique « Fosbury », (saut où le corps pivote  en arrière sur le dos pour passer la barre), technique nouvelle de l'américain Dick Fosbury aux J.O. de Mexico en 1968 qui lui rapporta la médaille d'or. Nous allons découvrir, avec des allers-retours dans le temps, le parcours de quatre athlètes des années 80 dans deux disciplines fort éloignées l'une de l'autre.

Connivence et respect mutuel

Tout d'abord le saut en hauteur avec Sue l'américaine et Tatyana la russe Kirghize. Aucune n'aura à affronter directement l'autre aux Jeux Olympiques car en 1980 les J.O. de Moscou sont  boycottés par les Américains à cause de l'invasion russe en Afghanistan, et en 1984 les Soviétiques boycotteront en retour les J.O. de Los Angeles... Elles vont se croiser cependant aux championnats du monde d'Helsinki en 1982 où une connivence muette et un respect mutuel leur permettront de se retrouver bien plus tard, longtemps après la fin de leurs carrières sportives, lorsque Tatyana invite Sue à venir se reconstruire chez elle au Kirghizistan.

 

Enjeux géopolitiques du sport

La deuxième discipline abordée, c'est l'haltérophilie avec l'américain Randy et le russe Kirghize Chabdan. Eux s'affronteront directement à Gettysburg aux États-Unis en 1978, et bien plus tard, Randy fera aussi le voyage au Kirghizistan sur les traces du héros national disparu qu'était Chabdan. Ces quatre parcours vont alterner, nous faisant découvrir les enjeux géopolitiques du sport au temps de la guerre froide, quand l'implacable Union soviétique ne tolère pas le moindre écart et que les agents du  KGB sont partout. Prononcer le nom de l'américain Fosbury  c'est trahir le peuple soviétique, l'entraînement se fera de façon clandestine...

Le dopage est présent dans les deux camps, dont les effets à long terme abîment les corps et les esprits. L'écrivain Jean Hatzfeld est un ancien journaliste sportif, et il excelle à décrire les performances des athlètes dans le moindre détail. Le lecteur, même s'il n'y connaît rien, se découvre soudain passionné par la préparation et le moment ultime de l'acte sportif, passer la barre de saut ou « soulever la fonte » !  C'est au Kirghizistan, devenu indépendant, que les réconciliations, compréhensions mutuelles entre les anciens athlètes olympiques vont se révéler, au cœur  de ce magnifique pays de montagnes et d'élevage pétri de traditions chamaniques apaisantes où la vodka n'est jamais loin. C

Extrait
"Tatyana se reprend. Elle sort à une vitesse folle de sa courbe d’élan, mais au lieu de taper le sol du talon pour générer l’impulsion, elle l’effleure de la pointe, elle se laisse emporter dans les airs. Sa main et son bras s’élèvent en arabesque, le dos se cambre en un demi-cercle d’une élégance merveilleuse, Tatyana ressent la plénitude de l'envol, elle est plume, elle a le temps de penser à sa légèreté, vit au ralenti sa solitude dans les airs, au-dessus du monde. Complices, les jambes virevoltent. Elle chute à la verticale sur la nuque, souple, termine en galipette plus qu’en roulade. Elle entend les clameurs avant d’ouvrir les yeux."

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