Par Martine Bouquin.
Mercredi 31 janvier. J’ai un rendez-vous à 8h ce matin à Auray. Voilà plus d’une heure que je suis prise dans un énorme bouchon, entourée de tracteurs et de voitures qui klaxonnent : manifestation de la confédération paysanne. Je n’ai pas le choix, je dois attendre que le trafic bouge pour pouvoir rebrousser chemin. En attendant, j’allume la radio : la musique adoucit les mœurs ! Jean Ferrat chante : « Mon Dieu que la montagne est belle, comment peut-on imaginer en voyant un vol d’hirondelles, que l’automne vient d’arriver. » Hé bien, c’est d’actualité ! J’attends. Et voilà que mes pensées s’envolent. Je repense à ma grand-mère paternelle partie de sa Normandie natale vers la capitale : « Les filles veulent aller au bal, il n’y a rien de plus normal que de vouloir vivre sa vie … ». Fille de la terre, toi, la paysanne, tu rêvais d’un autre monde. « Leur vie, ils seront flics ou fonctionnaires de quoi attendre sans s’en faire que l’heure de la retraite sonne... » Là, dans l’habitacle de la voiture, je vois ces hommes et ces femmes brûler des bottes de paille, crier : « Notre fin, c’est votre faim !» « Il faut savoir ce que l’on aime et rentrer dans son HLM, manger du poulet aux hormones… » Toute cette agitation me ramène à mon désir de savoir qui était mes lointains ancêtres. Étaient-ils des cueilleurs, des chasseurs, laboureurs, nomades ? Quel héritage m’ont-ils donné ?
Nourrir la tribu
Lorsque je vais faire les courses, je suis la cueilleuse : j’attrape au vol des denrées alimentaires juste en tendant le bras, j’ai « juste » à lire le « Nutriscore » : dans la liste des ingrédients, les additifs figurent soit sous leur nom, soit sous forme de Code commençant par la lettre E pour Europe suivi de 3 chiffres : 1 pour les colorants, 2 pour les conservateurs, 3 pour les antioxydants : au secours ! Mes ancêtres cueilleurs devaient juste sentir ou croquer pour savoir si l’aliment était comestible, non ?! Suis-je chasseuse ? J’aime bien la pêche sous-marine : quel plaisir de tirer un poisson pour nourrir la tribu, ou de jeter le filet dans l’espoir d’une pêche miraculeuse. Suis-je paysanne, lorsque je retourne un petit bout de jardin pour planter ou semer quelques légumes ?« Les vieux, ça n’était pas original quand ils s’essuyaient machinal, d’un revers de manche les lèvres. Mais ils savaient tous à propos tuer la caille ou le perdreau et manger la tomme de chèvre. »
Je coupe la radio. Mon esprit s’était envolé. Mon rendez-vous est annulé. Les ballots de paille brûlent !
« Pourtant que ta campagne est belle »…
Dans le livre témoignage Paroles d’un paysan, Catherine Ecole-Boivin nous entraîne dans le récit poétique d’un homme qui a toujours voulu vivre en osmose avec la terre qu’il cultivait. Chaque jour il notait ses pensées dans des petits carnets. « Chaque jour, pour ne pas oublier, j’écris des bouts de cerveau dans mes carnets. » Et c’est grâce à ces bouts de cerveau, que ce livre nous montre qu’il y a une autre façon de considérer la terre. Notre terre nourricière. « Je suis un paysan du mot pays (…) Mon corps raconte bien mieux que ma voix ce qu’a été ma vie. Et ce corps, ce sont mes champs qui me l’ont fabriqué comme il est. » Paul Bedel, paysan poète de la Hague en Cap-Cotentin né le 15 mars 1930 à Auderville, nous a quittés le 24 septembre 2018. Parce qu’il avait refusé les engrais et les pesticides pour sa terre, longtemps on a dit de lui qu’il était un arriéré. « Je ne veux pas tuer ma terre, vois-tu. Tuer la terre, c’est selon moi, tuer l’humain. »
Trop envie de relire des récits, romans, témoignages de nos aïeux travaillant la terre. J’avais le choix. J’ai retrouvé Jean-Marie Déguignet, ce fils de journalier agricole du sud Finistère qui nous a laissé un témoignage exceptionnel sur la société du XIXème siècle. Tour à tour mendiant, vacher, soldat, cultivateur… Il s’est retrouvé en porte-à-faux par rapport à la société de son temps (déjà)… Journal d’un écorché vif qui savait ce qu’était la terre. « Je vins au monde dans de bien tristes conditions. J’y tombai juste au moment où mon père, alors petit fermier, venait d’être complétement ruiné par de mauvaises récoltes et la mortalité des bestiaux…. 29 juillet 1834. Mes parents furent obligés de quitter la ferme en y laissant pour payer leur fermage tout ce qu’ils possédaient… » Parti pour faire des guerres jusqu’au Mexique, nous le retrouvons cultivateur à Ergué-Armel : « Des compliments tous les jours par des gens qui venaient à la ferme ». Mais ce contestataire ombrageux sera chassé de sa terre, il dira « Je vous engraisse depuis quinze ans… et vous me chassez ! » On le retrouvera débitant de tabac à Pluguffan ! C
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