Sans point terrestre fixe, il va son chemin. Le voilà en Dordogne où il se marie. Mais sa Bretagne lui manque. Son épouse accepte de le suivre et ils partent pour Brest. En 1997, dans la région brestoise, la production de fraises est en chute. Les agriculteurs comme les coopératives sont inquiets : pas de AOP (appellation d’origine protégée), la culture hors-sol se développe.
Propriétaire d'un terrain familial à Plougastel- Daoulas, il décide de s'y installer et de créer son exploitation. Il suit une formation agricole, mais rien sur la fraise ! Toute création d'entreprise est une complexité administrative. Nouvelle exploitation, oui, mais pas « jeune » agriculteur et cela complique encore les choses .
Il opte pour une plantation de gariguettes, en bio et en pleine terre. C'est parti : « Les premières fraises rougissent. Après tout, si on rêve de produire 8 tonnes de fraises l'an quand on est débutant, est-on certain de voir poindre un jour sa première fraise ? Est-on sûr de ce que sera sa couleur, son goût ? La première année j'en ai fait des cauchemars. J'ai dépensé quatre cents mille francs et j'attends fébrilement un miracle de 10 grammes. Quand je la vis sortir, je m'agenouillai près d'elle ; la métamorphose d'un petit bouton vert révolutionnait ma vie. Le dimanche, l'objet rosit légèrement comme les joues d'un bébé, restant pâle à certains endroits, rosâtre puis rouge sur les reliefs jusqu'à ressembler au nez d'un clown vers 17 heures où plus rien ne bougea plus jusqu'au lendemain. »
Les nuits sont brèves
Les rangées de plants sont sous des tunnels de bâche plastique tenus par des arceaux et le vent souffle fort parfois en Bretagne, de jour comme de nuit pouvant mettre en danger ces structures. Cinq tunnels et vingt mille plants ! Aléas météorologiques, comme en mer ! Les prédateurs sont là : corbeaux, lapins et merles qui mangent tout et se multiplient.
« J'explique à l'Assassin ce déluge de renards qui après les lapins, les corbeaux, les merles et tout le reste, va bientôt m'expédier à l'asile. Cela fait trois jours que je ne sors plus des tunnels ». Il faut parer aux dégâts potentiels, de jour comme de nuit ! Les nuits peuvent être très courtes, même brèves. Seul le dimanche est « off ».
Les gestes sont répétitifs
Au stress s'ajoutent la fatigue physique, la gestion administrative, les vols, le recrutement des saisonniers, la gestion du personnel. Et comment sera la récolte ? Y aura-t-il assez d'eau ? La floraison se fera-t-elle à temps, ainsi que la maturation des fruits ? Il a quelques employés à l'année. Le recrutement de saisonniers est indispensable pour la plantation et la récolte. Le travail est pénible, les gestes sont répétitifs, plantation et récolte se font à genoux . « Je décrète la pause, les cueilleurs se relèvent, incapables durant quelques secondes de faire un pas, les jambes raidies par la position des genoux. Ils contemplent leur travail. Ils sortent. »
Trouver la meilleure place
Après la cueillette, il faut remplir les barquettes, les charger dans la camionnette et aller au marché. Sur place, il faut trouver la meilleure place et la garder. Il peut confier le poste à une vendeuse. Là encore, il peut y avoir de mauvaises surprises : la somme officiellement encaissée ne correspond pas au volume de la vente, la pause café est trop longue, le relationnel n'est pas adapté avec la clientèle. Mais n'oublions pas le comportement de certains clients : se servir pour « goûter » sans forcément acheter, accaparer le vendeur sans rien prendre. Alors voici le conseil qu'il donne : « Surtout, Claire, ne pas rentrer dans les mots, jamais. Les mots, le goût, les couleurs, jamais. Tu leur fourgues une barquette et tu dis : moi je choisirais celle là Madame. Une fois sur deux, elle prendra celle d'à côté pour te faire chier, mais c'est pas grave, elle a une barquette en main, la vente est faite. »
La fraise, une obsession
La fatigue physique accompagnée de la fatigue nerveuse agit fortement sur la vie privée. Le travail a pris toute la place dans sa vie et il se sent vide, seul. Il a quelques contacts épistolaires comme seule relation extraprofessionnelle. Il écrit bien et a déjà publié un livre : Triptyque lunaire, mais cela ne remplace pas le contact humain. À contre cœur, il accepte de faire une psychothérapie : il ne pense qu'à la fraise et se demande qui il est... la fraise est son obsession ,« j'y promène ma solitude laborieuse ». Il retrouve ses souffrances de naguère, lui reviennent en tête les grands moments de solitude et de souffrance en mer. Son psy lui conseille d'écrire.
Alors, il décide d'arrêter l'exploitation, dernière saison du Bateau fraise, dernier marché… point final.
MAIS la vie est là ! Elle continue. Elle va combler son mal être.
Un groupe d'amis se forme avec en points communs le bateau, l'écriture, le théâtre...
Cet homme écoute toujours son cœur pour construire sa vie. Il nous la raconte simplement. Les mots sont fluides, exprimant son vécu avec pudeur. Sans jamais se plaindre, il relate sa vie d'exploitant agricole. C
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