Par André Daviaud.
« Je n’omets pas que le sang de cochon sert à fixer l’or » Paul Claudel.
Les cochons grognaient dans leur soue, derrière le mur Est de la cour. C’étaient des bêtes épaisses, des blocs de chair sans cou qui fouissaient de leur groin la soupe qu’on leur donnait chaque jour. On faisait cuire des pommes de terre de rebut dans une grande chaudière qui fumait dans une dépendance que l’on appelait « la chambre aux patates » car on y entassait ces tubercules. Les plus abîmées et les plus pourries étaient destinées aux porcs. Après cuisson, on les mélangeait avec du petit lait, ce liquide qui reste après avoir battu la crème en beurre ou transformé le lait en laitage. Les cochons se jetaient sur leur mangeoire avec des reniflements de plaisir. Leur groin s’emplissait de ce liquide épais. Ils mangeaient comme des porcs et j’ai toujours du mal à comprendre lorsqu’on soutient que ce sont des bêtes très propres. Il est vrai qu’elles sont génétiquement proches de l’être humain au point qu’on a pu récemment greffer un cœur de cochon génétiquement modifié dans la poitrine d’un homme, qui est mort au bout de quelques semaines. Mais la science fait de tels progrès ! Cochon qui s’en dédie !
D’un grand coup de masse
En hiver, on tuait le cochon. Le charcutier, un presque homonyme, venait de la ville voisine, vêtu de sa blouse noire et d’un tablier. Il avait un visage très rose et très rond et une tête sans cou. Et des gestes précis de tueur de cochon. Je me souviens des cris stridents de la bête quand on la traînait vers le lieu du sacrifice. On l’assommait d’abord d’un grand coup de masse. Puis, on l’égorgeait pour recueillir le sang dans une bassinoire profonde. Il fallait qu’il soit vivant car la circulation sanguine cesse dès l’arrêt du cœur. On sait cela à la campagne. Le liquide pourpre remplissait le récipient et on l’emportait pour faire la fressure ou le boudin.
À grands coups de hache
Une fois mort, on débarrassait le porc de ses soies, c’est-à-dire des poils, en les vrillant autour d’une sorte de longue vis ou en les brûlant. Ensuite, il était fendu à grands coups de hache de la tête aux fesses. On recueillait les viscères, le foie, les rognons, le cœur, les boyaux. Car tout est bon dans le cochon, sauf peut-être les poumons, l’estomac et la vessie. Encore que certains doivent les cuisiner pour vérifier la véracité du dicton.
On en suspendait la carcasse à une échelle dressée.
La vision du cochon pendu était fascinante. Toute cette masse de viande qui attendait le couteau ou le hachoir du charcutier. On procédait alors à la découpe par grands quartiers.
L’homme de l’art (ou du lard) disposait sa table et séparait avec précision chaque morceau, des plus nobles comme les filets mignons aux plus humbles, comme la queue ou les pieds (remarquez qu’on dit « pieds de cochon » et non pattes. Décidément, cette bête nous ressemble de plus en plus.)
Le partage se faisait selon des calculs savants mais chaque famille du château avait sa part.
Les femmes déjà étaient entrées en action. Car, si l’abattage est affaire d’hommes, la cuisine du cochon est affaire de spécialistes féminines. Les boyaux se remplissaient de chair grasse mêlée de sang, additionnée d’aromates dont chacune avait le secret. Les tripes étaient cuites à part, et le hachoir à manivelle dégorgeait de filaments de viande qui deviendraient pâté grâce à un savant dosage de poivre, de sel et d’ingrédients mystérieux qui donnent à chaque terrine son goût spécifique.
Des festins de cochonnaille
Les fours engloutissaient toutes ces préparations pour que chacune en emporte sa portion après stricte répartition du corps du porc engraissé amoureusement durant tant de mois.
L’odeur de la cuisine du cochon envahissait l’espace et faisait pressentir aux enfants que nous étions des festins de cochonnaille.
Les jambons avaient un sort différent. Précieusement prélevés, jambon avant et jambon arrière étaient l’objet d’un traitement à base de saumure dont je revois encore ma mère en badigeonner minutieusement la chair avant de l’envelopper dans un sac de lin blanc.
Les jambons seraient bientôt pendus dans la cheminée pour qu’ils se fument lentement avant d’être servis en tranches pour accompagner la mogette.
Les odeurs, les sons, la vue des chairs pendantes, l’agitation fiévreuse faisaient du jour où l’on tuait le cochon une fête des sens.
On tue aujourd’hui les bêtes loin des yeux des enfants qui ne doivent pas savoir que cette tranche de jambon blanc ou cette côte de porc ont été une partie d’un être vivant pataugeant dans la boue.
Je ne peux m’empêcher de penser que c’est un peu dommage. C
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