Par Marie-Annette Lucas.
Dans ce récit autobiographique, l'écrivain italien Erri de Luca remonte le temps jusqu'à précisément l'été de ses dix ans.
Cet été-là, en vacances sur une île de la baie de Naples, il va prendre conscience de la mutation corporelle qui l'attend, et surtout que l'esprit change avant le corps, et que cela n'est pas du tout facile à gérer. « J'avais maintenant dix ans, un magma d'enfance muette. Dix ans, c'était un cap solennel, (...) L'enfance se termine officiellement quand on ajoute le premier zéro aux années. Elle se termine, mais il ne se passe rien, on est dans le même corps de mioche emprunté des étés précédents, troublé à l'intérieur mais calme à l'extérieur. J'avais dix ans.(...) J'étais dans un corps pris dans un cocon et seule ma tête tentait de le forcer. »
Un corps nouveau
C'est un enfant solitaire, qui aime lire, faire des mots croisés, nager, pêcher à la ligne et accompagner sur son bateau un vieux pêcheur au filet. Sur la plage aussi se trouve une fillette (il a oublié son prénom) qui lit des polars, se déclare écrivain, et se passionne pour le comportement des animaux. Ils vont échanger beaucoup, s'apportant mutuellement leurs connaissances, et il est sous le charme quand elle lui parle... mais un groupe de trois garçons va s'en prendre à lui par jalousie. Malgré les mises en garde de la fillette, il imagine alors une théorie pour le moins surprenante en lui expliquant : « Je n'ai pas peur de me faire mal, d'être blessé. Ça m'est égal. Mon corps ne m'intéresse pas et il ne me plaît pas. C'est celui d'un enfant que je ne suis plus. Je le sais depuis un an, je grandis et mon corps non. Il reste en arrière. Et donc peu importe s'il se casse. Au contraire, s'il se casse, il en sortira un corps nouveau. » « Je dois aller chercher ces trois-là et me faire tabasser jusqu'à ce que la coquille se casse. Puisque je n'arrive pas à la forcer de l'intérieur, il faut le faire de l'extérieur. Je dois aller les chercher. (…) À dix ans, je croyais dans la vérité des coups» Et c'est ce qu'il fait… il se réveille à l'hôpital en piteux état, mais veut guérir vite pour vérifier les résultats de la transformation de son corps… Mais ce qu'il découvre aussi cet été-là, ce sont les premiers émois du sentiment amoureux auprès de la jeune fille qui, après avoir rendu justice - terme qui lui tient très à cœur - en punissant les coupables, l'initiera au baiser amoureux. « Les baisers partaient de nos talons plantés dans le sable. Ils remontaient nos vertèbres jusqu'aux os du crâne, jusqu'aux dents. Aujourd'hui encore je sais qu'ils sont le plus haut sommet qu'atteignent les corps. »
Erri de Luca nous offre un récit d'initiation très finement écrit, au plus près de l'enfant qu'il était, nous plongeant dans l'ambiance de l'époque estivale d'après guerre avec sucettes glacées, cinéma en plein-air, sable, mer, barques et pêcheurs… y entremêlant aussi quelques autres souvenirs familiaux. Cet été fondateur l'a sorti de l'enfance pour l'ouvrir au monde à tout jamais, avec toujours les yeux ouverts. L'écriture est épurée, simple et poétique. Un récit émouvant et lumineux, à lire pour la beauté de la langue. C
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