Bouboule

 


Par France Rioual.

Enfant, on m’appelait Bouboule. L’intention était affectueuse, je n’avais aucun doute là-dessus puisque le surnom sortait de la bouche de mes parents. Malgré tout, l’appellation laisserait des traces. Pour tout dire des complexes. Puisque je ne correspondais pas aux standards de silhouette attendus par les êtres qui m’étaient les plus chers, il me fallait agir. Outre un régime alimentaire drastique (aux conséquences néfastes), j’adopterais à l’adolescence une garde-robe ample et sans forme visant à cacher ce corps qui, rétrospectivement et après avoir observé des photos de l’époque, ne peut pas même être qualifié d’enveloppé. Toujours est-il que le bikini, ce n’était pas pour moi et des excuses j’en trouverais à la pelle qui me priveraient de bains de mer pendant… longtemps. 

William Giraldi quant à lui est né dans une famille patriarcale d’immigrants italiens. Dans son roman non-fictionnel intitulé Le corps du héros, il raconte ses premières années dans la bien nommée bourgade de Manville dans l’État du New-Jersey. « Une ville de plombiers et de maçons, de camionnettes et de motos, de bars et de commerces d’alcool, de terrains de foot, de dîners et d’églises, d’ateliers de réparation auto… » Pour faire plus court : « un bled tout droit sorti d’une chanson de Springsteen. » William, le quatrième du nom de la lignée Giraldi, ne correspond pas au stéréotype masculin attendu autour de lui. Il est maigre et... passionné de littérature. Ce qui lui vaut d’être traité de trouillard, de tarlouze ou de gonzesse. Car, c’est bien connu, la poésie et le théâtre relèvent du féminin tandis qu’un homme un Vrai répond à la physionomie d’un Hercule  Farnèse.   Biberonné   aux    héros incarnés par Stallone et Schwarzenegger – dont, de fait, je me suis autorisée à visionner les exploits dans Rocky (1976), Rambo (1986) et Conan Le Barbare (1982) – et ceux de Marvel et DC Comics – Hulk et Batman de préférence à Spider Man -  William et ses frère et sœur sont élevés par leurs père, oncles et grands-parents. Sa mère a quitté Manville, mari et enfants, l’année de ses 10 ans. Pour les hommes de la maison, « la virilité n’est pas seulement une façon d’être mais un véritable credo. » La méningite dont William sera victime à 15 ans, et dont il ressortira encore plus chétif, ajouté à un échec amoureux feront le reste. L’adolescent en vient, lui aussi, à la pratique forcenée de l’haltérophilie puis du bodybuilding.  Dix années d’exercices à faire de son corps un monument chez soi puis, entre-soi, dans des salles d’entraînement. « Nous voulions devenir des totems, des objets  de   vénération et de crainte, extraordinaires et mystiques. » Et quand les curl, squat ou autre arraché ne suffisent plus, c’est à coup d’anabolisants stéroïdiens que sa masse musculaire est renforcée. Qu’importe les maux engendrés. La carapace de muscles signifient courage et intrépidité. Enfermé chez lui un hiver où les routes sont rendues impraticables à cause de fortes chutes de neige, William Giraldi ne peut se rendre aux entraînements en salle. Il entre dans une profonde mélancolie dont le sortiront les centaines de livres qu’il n’aura cessé d’accumuler pendant ces dix années de discipline forcenée. Tandis que sa masse musculaire fond comme neige au soleil, s’ouvre à lui la perspective de suivre des études universitaires. Soutenu par son père, c’est à la mort tragique de celui-ci, décédé dans un accident de vitesse à moto, qu’il entamera l’écriture de ce récit personnel romancé critique. Il voit dans l’homme body-buildé et la femme anorexique des manifestations comparables de ce que produit une forte pression sociale. William Giraldi est aujourd’hui professeur de littérature dans une université à Boston. 

Se ré-approprier son corps

Cher William Giraldi que n’avons-nous fait connaissance avec ORLAN plus tôt ! L’artiste dont le nom s’écrit en  capitales   par refus de se retrouver coincée entre deux lignes. Celle qui fait de son art un projet de société, de son corps une œuvre. Dans son autobiographie Strip-tease, tout sur ma vie, tout sur mon art, l’artiste internationale née à St-Etienne revient sur sa démarche qui n’a de cesse de répondre à la question : notre corps nous appartient-il ? Connue pour son audacieux Baiser de l’artiste ou sa réplique, non moins audacieuse, de L’origine du monde de Courbet, intitulée L’origine de la guerre, ORLAN est l’artiste des opérations chirurgicales performances. Celle qui s’est fait implanter sur les tempes des prothèses destinées, en chirurgie esthétique, à rehausser les pommettes. Comment mieux traduire son refus des diktats esthétiques.

Pourtant et malgré toutes les révolutions féministes, il reste du chemin à parcourir pour s’émanciper des mécanismes ancestraux du patriarcat sur (notamment) les corps féminins. C’est ce que démontre la philosophe Camille Froidevaux-Metterie dans son essai Seins  en quête d’une libération. Les témoignages de 42 filles et femmes de 5 à 76 ans, blanche, noire, trans, enceinte, allaitante, handicapée, malade, guérie, grosse, maigre, bi, hétéro…. dont elle a aussi photographié le buste remettent en cause bien des idées reçues. C




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