Accord de corps

 

Par Martine Bouquin.

Depuis sa plus tendre enfance, elle n’a cessé de vouloir contrôler son corps de « fille ». Entourée de ses cinq jeunes oncles, il fallait qu’elle se montre meilleure qu’eux dans tous les domaines. Course à pied, escalade d’arbres, descentes pentues à vélo, foot, défis en tous genres. « Il faut canaliser cette super activité, a dit le médecin de la famille, après une énième chute, pourquoi pas la danse ? » Elle s’est donc retrouvée dans une salle au parquet ciré, à la barre d’exercices, à faire des « pliés première, seconde, des dégagés, battements, jetés, pointe, demi-pointe… » et cela pendant des heures.  Son corps souffrait, était maltraité et pourtant elle se sentait légère, libre. Épuisée mais heureuse. Jusqu’au jour où ce corps a changé ! Aux yeux du professeur elle n’était pas assez grande, assez fine, buste trop lourd… Du jour au lendemain le regard des autres était devenu juge de son enveloppe corporelle. Et c’est dans cette enveloppe qu’elle était mal à présent. Elle a tout arrêté. Mais le corps a une mémoire, il s’impatientait de cette léthargie, il voulait qu’elle sorte de cette carapace de homard qui l’empêchait de bouger. « Toute maladie est une confession du corps » a dit le grand sportif Askar Wladislaw. Il était temps pour elle de réagir. Elle s’est mise à courir. L’athlétisme, voilà ce qu’il lui fallait. Entraînement intense. Et puis le temps de l’humiliation des regards est arrivé. « Cours plus vite, tu auras une longueur d’avance avec ta poitrine ». STOP ! Retour à la case départ. Elle embraye sur la natation, les marathons, la voile, l’équitation... Elle n’écoute plus son corps, elle n’en fait qu’à sa tête. STOP, lui crie-t-il STOP ! Il fallait lui montrer comment l’arrêter ! Et il a bien fallu qu’elle s’arrête.


Elle s’y est retrouvée en lisant Le théâtre du corps de Marie-Claude Pietragalla. Pour Marie-Claude Pietragalla (danseuse étoile de l’opéra de Paris de 1990 à 1998), « le corps est le lieu où s’inscrivent les manifestations de l’expérience humaine ». «Il faut travailler son corps jour après jour, écrit-elle, le pousser à bout et en même temps l’entretenir, le choyer, le protéger. Il est notre patrimoine le plus précieux. » 

Elle est redevenue adolescente en lisant le roman fiction A Comme Aujourd’hui de David Lévithan.
« Je me réveille. Aussitôt, je dois déterminer qui je suis… Chaque jour je suis quelqu’un d’autre. Je suis moi-même- je sais que je suis moi-même- mais je suis aussi un autre. Et c’est comme ça depuis toujours. »
A, adolescent de 16 ans est un nomade de corps. Chaque jour il se retrouve dans le corps d’un ou d’une autre personne du même âge. On se passionne pour ces personnages qu’il incarne. Adolescent.e.s, parfait.e.s, introverti.e.s, insolent.e.s, suicidaires, actif.ve.s, obèses, junkies, dépressif.ve.s etc. Jusqu’au jour où il se retrouve dans le corps de Justin et rencontre Rhiannon. Il a soudain envie d’exprimer sa réalité et de partager avec elle son secret. Roman envoûtant, poignant, sensible qui reflète les questions de société que l’on se pose actuellement. La fin ? Il faut la découvrir. Fin ouverte vers ce changement de société.

Elle s’est souvenue de son corps au repos avec le roman : Je suis là de Clélie Avit. « Tout le monde pensait que c’était impossible. Un imbécile est venu qui ne savait pas, et qui l’a fait » a écrit Marcel Pagnol. Chambre 52. Elsa est dans le coma depuis vingt semaines après une chute en montagne. Tandis que l’espoir de son réveil s’amenuise de jour en jour et que pour le corps médical il faut la «débrancher», Elsa, elle, s’accroche « je suis en location dans mon propre corps. Et je n’aime pas dormir...  C’est fou ce qu’on peut comprendre sur notre corps quand on est dans le coma... Je me demande jusqu’à quand je ne vais qu’entendre. » Chambre 55. Thibault essaie en vain d’ouvrir la porte où se trouve son frère Sylvain. Ce dernier est responsable, sous l’emprise de l’alcool, de la mort de deux adolescentes. Épuisé, écœuré de cette situation, Thibault ne peut pas le voir. Il s’enfuit et par erreur ouvre la porte de la chambre 52. De ce geste va naître une relation d’amour et d’espoir comme il en existe rarement. « Je suis en train de me réjouir à l’idée d’aller voir une fille dans le coma. » Il lui parle et veut la réanimer. Une très belle histoire de rencontre, d’espoir et de sourire à la Vie. C






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