Maisons d'enfance

 

Par André Daviaud.

Pour illustrer le thème de la maison, j'ai pensé aux maisons d'enfance, si souvent évoquées avec nostalgie dans la poésie. J'ai fait un choix très personnel et forcément très subjectif parmi les nombreux textes consacrés à ce thème.

J'aurais pu choisir le fameux sonnet de Du Bellay. J'en retiens surtout la strophe suivante:

"Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village

Fumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?"

De Lamartine, j'avais appris par cœur cet extrait de Milly ou la terre natale qui résonne fortement chez beaucoup d'entre nous : 

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme

Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"

René Guy Cadou est né à Sainte-Reine de Bretagne, en Brière, et il évoque dans ce poème son enfance heureuse dans la maison d'école de ses parents instituteurs. Il deviendra lui-même maître d'école à Louisfert, près de  Chateaubriant.

La saison de Sainte-Reine
René Guy Cadou , 1951

Je n'ai pas oublié cette maison d'école

Où je naquis en février dix-neuf cent vingt

Les vieux murs à la chaux ni l'odeur du pétrole

Dans la classe étouffée par le poids du jardin

Mon père s'y plaisait en costume de chasse

Tous deux nous y avions de tendres rendez-vous

Lorsqu'il me revenait d'un monde de ténèbres

D'une Amérique à trois cents mètres de chez nous

Je l'attendais couché sur les pieds de ma mère

Comme un bon chien un peu fautif d'avoir couru

Du jardin au grenier des pistes de lumière

Et le poil tout fumant d'univers parcourus

La porte à peine ouverte il sortait de ses manches

Des jeux de cartes des sous belges ou des noix

Et je le regardais confiant dans son silence

Pour ma mère tirer de l'amour de ses doigts

Il me parlait souvent de son temps de souffrance

Quand il était sergent-major et qu'il montait

Du côté de Tracy-le-Mont ou de la France

La garde avec une mitrailleuse rouillée

Et je riais et je pensais aux pommes mûres

A la fraîcheur avoisinante du cellier

A ce parfum d'encre violette et de souillure

Qui demeure longtemps dans les sarraus mouillés

Mais ce soir où je suis assis près de ma femme

Dans une maison d'école comme autrefois

Je ne sais rien que toi Je t'aime comme on aime

Sa vie dans la chaleur d'un regard d'avant soi.

La chanteuse Barbara raconte dans une chanson poignante son retour sur les lieux de son enfance. Ses sentiments sont ambigus. Elle est à la fois heureuse de revoir ce lieu du bonheur, mais aussi du traumatisme (elle fut victime d'inceste). Elle regrette finalement d'être revenue et la fin de la chanson exprime la douleur de ce retour déchirant.

Mon enfance
Barbara, 1968

J'ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue
Où j'avais passé mon enfance
J'ai eu tort, j'ai voulu revoir le coteau où glissait le soir
Bleu et gris, ombres de silence
Et j'ai retrouvé comme avant
Longtemps après
Le coteau, l'arbre se dressant
Comme au passé
J'ai marché les tempes brûlantes
Croyant étouffer sous mes pas
Les voix du passé qui nous hantent
Et reviennent sonner le glas
Et je me suis couchée sous l'arbre
Et c'était les mêmes odeurs
Et j'ai laissé couler mes pleurs
Mes pleurs
J'ai mis mon dos nu à l'écorce, l'arbre m'a redonné des forces
Tout comme au temps de mon enfance
Et longtemps j'ai fermé les yeux, je crois que j'ai prié un peu
Je retrouvais mon innocence
Avant que le soir ne se pose
J'ai voulu voir
La maison fleurie sous les roses
J'ai voulu voir
Le jardin où nos cris d'enfants
Jaillissaient comme source claire
Jean-claude et Régine et puis Jean
Tout redevenait comme hier
Le parfum lourd des sauges rouges
Les dahlias fauves dans l'allée
Le puits, tout, j'ai tout retrouvé
Hélas
La guerre nous avait jetés là, d'autres furent moins heureux je crois
Au temps joli de leur enfance
La guerre nous avait jetés là, nous vivions comme hors-la-loi
Et j'aimais cela quand j'y pense
Oh mes printemps, oh mes soleils, oh mes folles années perdues
Oh mes quinze ans, oh mes merveilles
Que j'ai mal d'être revenue
Oh les noix fraîches de septembre
Et l'odeur des mûres écrasées
C'est fou, tout, j'ai tout retrouvé
Hélas
Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs
Du temps béni de son enfance
Car parmi tous les souvenirs, ceux de l'enfance sont les pires
Ceux de l'enfance nous déchirent
Oh ma très chérie, oh ma mère, où êtes-vous donc aujourd'hui?
Vous dormez au chaud de la terre
Et moi je suis venue ici
Pour y retrouver votre rire
Vos colères et votre jeunesse
Et je reste seule avec ma détresse
Hélas
Pourquoi suis-je donc revenue et seule au détour de ces rues
J'ai froid, j'ai peur, le soir se penche
Pourquoi suis-je venue ici, où mon passé me crucifie
Et ne dort jamais mon enfance?


Mon enfance s'est déroulée dans une maison cernée d'arbres au bord du parc d'un château. Nous étions neuf enfants et la plupart de mes souvenirs sont heureux. La nature dans son épanouissement et tout un univers de gestes paysans m'ont entouré. J'ai évoqué ce moment dans un poème du recueil « La Nuit rauque ».

Eden
André Daviaud, 1980


Cette maison qui te ressemble

Blottie dans l'ombre des futaies

Cette maison d'oiseaux se tait


Nous étions dix à nous parler

A rire avec le vent

Et dans le vin sucré du soir

Trempaient des bouches de soleil


La lenteur du printemps rampait sur les grillages

Epanouissait les murs

Et des colonnes de feuillages escaladaient le ciel

Les chemins contournaient des massifs de lauriers

Tout ramassés sur leurs petits

Dans le tracé de l'espérance

Et l'île sur l'étang enivrait d'arbres les abeilles


Frères et sœurs d'amour noués comme les roses

Entrelacés de vie parmi les bras des saules

Frères et sœurs d'amour sur la mousse des tuiles

A la limite du hangar

Et sarment de la treille scellée à la maison

Frémissante à l'été

Des lézards dans les poings

Frères et sœurs de la pensée

Sur le granit brûlant et l'éveil du jardin

Allongés dans la cour

Avec l'odeur des ans et la musique des grillons

Je nous revois


Tandis que glissent sous les chênes

Des troupeaux d'ombres solitaires

Frères et sœurs d'amour. C




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