Par Marie-Annette Lucas.
Que donnerai-je pour revivre dans la maison de vacances de mon enfance non loin de la mer dans le nord Finistère… cette maison de famille où nous passions les deux mois d'été sans grand confort : pas d'eau courante, ni salle de bain, wc à l'extérieur, l'eau tirée à la pompe… nous avions le rez-de-chaussée avec un grand perron, le premier étage était réservé à une famille de cousins, deux pièces à une autre, et les mansardes sous le toit sans isolation étaient réparties en chambres sommaires pour enfants. Mais tous les jours baignades à la petite plage, virées en vélo, jeux et cabanes dans le jardin et le bois où les arbres n'avaient aucun secret pour nous… bref le paradis sur terre pour les enfants insouciants que nous étions ! Alors voici pour vous deux romans sur la « maison de vacances » situés également dans le Finistère et qui m'ont bien sûr évoqué mon « paradis perdu ».
Que reviennent ceux qui sont loin de Pierre Adrian
« Cet été-là, je revins avec un sentiment familier mais que j’identifiais seulement. Celui de renouer avec un bonheur certain. » Après plusieurs années d'absence, le narrateur, double de l'auteur, revient passer le mois d'août dans la maison familiale de vacances en bord de mer sur la côte ouest du Finistère nord, là où il a passé tous les mois d'août de son enfance et adolescence. Et aussitôt le voilà replongé dans l'atmosphère de « la grande maison », comme elle est nommée, où vont et viennent oncles, tantes, cousins, cousines, neveux et nièces de tous âges. Mais « Il y avait le temps qui passait et la certitude que rien n'était éternel. Un jour viendrait où ce paysage, tel que je l'avais laissé enfant, n'existerait plus. Il appartiendrait à d'autres. » Nous allons revivre ce mois d'août au rythme lent et nostalgique du narrateur qui retrouve son enfance, teintée de mélancolie, à travers les choses et gestes immuables. « je croyais en la remembrance des objets, à leur signification dans le temps. À la grande maison, nous passions et ils restaient. Les objets étaient immortels. Rien n'avait bougé et c'était nous qui changions. (…) Sous la mansarde où j'entendais le vent siffler les nuits de gros temps, il y avait notre mémoire. » Il y a aussi les incontournables temps de plage où se retrouvent familles et amis, et où la nostalgie affleure toujours. « Depuis que j'avais refusé ce jeu d'été et quitté la grande maison, j'avais changé, cessant d'être un fils pour devenir un homme.(...) Tous ces visages étaient ceux de ma vie. À quoi bon se lever contre tout ça ? J'avais fui la famille. Je l'avais haïe peut-être, et je tâchais cet été-là de me réconcilier. Je pensais pouvoir reconstituer ce petit monde avant qu'il ne disparaisse. » La grand-mère est toujours là, mais pour combien de temps encore... « Le temps l'avait tassée sur elle-même,(...) elle avait l'extrême vieillesse, bientôt un siècle, l'immense fatigue de la vie » Et puis les vacances c'est avant tout le temps des enfants, « ils régnaient sur la grande maison.(...) Je me rendais compte maintenant que les enfants étaient les véritables rois.(…) J'avais été l'un d'eux. Désormais ils me fatiguaient et je demandais le silence (...) mais je me reprochais d'être un vieil imbécile. » Et puis il y a le petit Jean, un neveu de 6 ans, qui émeut le narrateur parce que « quelque chose dans ses yeux me rappelait celui que je fus. Il avait mes silences de jadis, mon regard inquiet. » Les jours s'écoulent aussi en visites familiales, balades sur les sentiers côtiers où sur les grèves à marée basse, au café du port, en se remémorant les diverses anecdotes des étés passés, les jours de pluie où il faut s'occuper, la messe du dimanche, tradition familiale, le feu d'artifice et les fêtes du 15 août… puis la fin août s'effiloche dans les dernières fois de tout avant que la grande maison ne referme ses portes jusqu'à l'été suivant, et le drame qui survient dans la foulée renforce encore la notion de fugacité de la vie.
Cette grande maison est décrite comme un personnage à part entière, au devenir incertain. « l'avenir de la maison était en suspens. On ne savait pas encore si on pourrait la reprendre à la mort de grand-mère.(...) Et il en était de la grande maison comme de ceux qu'on chérit, elle avait besoin qu'on lui dise haut et fort qu'on l'aime, qu'on ne peux pas vivre sans elle. »
Ce roman rempli de mélancolie est écrit dans un beau style poétique, fluide et concret à la fois, s'attachant à rendre l'ambiance estivale voilée de nostalgie à travers une description mêlant quotidien actuel et souvenirs d'autrefois. Un livre à recommander, tant pour son écriture que pour l'évocation de l'enfance d'été à jamais enfuie qui sommeille en chacun de nous.
Pierre Adrian, Que reviennent ceux qui sont loin, Gallimard, nrf, 2022, 180 p.
La maison de Bretagne de Marie Sizun
Ce roman au titre explicite nous conduit dans le Finistère sud, à l'Ile-Tudy, où la narratrice, Claire, se rend dans l'intention de vendre la maison de vacances dont elle a héritée, et où elle ne vient plus « pour toutes les raisons, matérielles, mais aussi affectives. Surtout affectives... » Un événement inattendu l'oblige à rester sur place car la police doit enquêter. Alors, dans la maison, les souvenirs familiaux de l'enfance et de l'adolescence remontent à la surface : sa douce et solide grand-mère Berthe, mais surtout sa mère, une mère distante et incomprise, sa jeune sœur Armelle, la mal-aimée qui fuira comme elle peut, son père adoré qui est parti brusquement… Des souvenirs douloureux mêlant incompréhension et culpabilité, et aussi quelques éclaircies de rares souvenirs plus doux. Il y a aussi la beauté de la mer et du ciel toujours changeants, et enfin cette maison face à la mer et à la plage où elle découvre qu'elle y est bien plus attachée qu'elle ne le pensait malgré sa rusticité, quelques secrets enfouis révélés et une lente introspection sur elle-même vont lui apporter l'apaisement voulu pour finalement changer de projet. Un roman plutôt bien écrit, facile à lire, sur la complexité des liens familiaux, avec de jolies évocations des paysages littoraux d'après-saison, mais on peut trouver le déroulé un peu répétitif et une fausse intrigue policière quelque peu inutile.
"Et je comprenais qu'une maison, ce n'était pas seulement des murs, un toit et des souvenirs de famille, doux ou cruels, mais aussi le pays où elle a été plantée. »
Marie Sizun, La maison de Bretagne, Gallimard 2021, Folio 2022, 251 p.
Ma chère maison de vacances a été vendue, restent les photos de famille sur le perron, et les souvenirs ineffaçables au fond de la mémoire… C
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