Les villes métissées de Joseph Kessel

 



Par Marie-Annette Lucas. 

Sur les étagères de ma bibliothèque, le livre de Joseph Kessel, me faisait de l’œil depuis un moment : Hong-Kong et Macao… Rien que ces deux mots avaient un parfum d'aventures, d'Extrême-Orient mystérieux, de trafic d'opium et autre contrebande illicite, de tripots clandestins... Je me plongeais donc dans ces lieux inconnus avec le meilleur des guides, Joseph Kessel, qui sait mieux que personne décrire une atmosphère, observer finement et restituer tout ce qu'il voit sans jugement, paysages et êtres humains de toutes sortes, avec le souci d'aller partout, même là où pas un européen ne va, pour en témoigner avec bienveillance, guidé lui aussi par des personnes de confiance.

Nous sommes en 1955, Hong-Kong est sous administration anglaise. Kessel est ébloui par la splendeur de cette ville, au fourmillement humain permanent sur terre comme sur mer, toujours affairée, qui s'ouvre sur la baie de Canton où naviguent des milliers de jonques, sampans et bateaux de toutes sortes. Kessel sélectionne des histoires étonnantes entendues, des personnages incroyables, et des visites qui l'ont fortement marqué, comme la découverte des quartiers miséreux de fumerie d'opium ou encore le village de boue surpeuplé où les habitants vivent dans l'humidité permanente. Nous découvrons les « maisons de danse » où la danse n'est qu'un début pour les « visiteurs »...  Certains titres de chapitres sont parlants : « La vendeuse d'enfants », « Le Baume du Tigre », « Les secrets de Kowloon », « Les invalides aux doigts de fée »…

« Hong-Kong veut dire, en chinois, Havre embaumé.
Le nom vient des temps où, vierge et quasi déserte, cette île servait seulement d'abri à quelques huttes de pêcheurs, quelques jonques de pirates (...) Mais dans Hong-Kong, c'est l'immense ville jaune,suprême vestige et reflet d'un passé aboli, avec ses habitants venus de toutes les provinces de la Chine, avec ses quartiers éclatants et mystérieux, ses milliardaires et ses faméliques, ses rumeurs et ses commerces étranges, qui retient et fascine l'attention du voyageur .(...)Hong-Kong un lieu singulier et sublime, un des monstres sacrés de l'univers. Et d'abord, par son incroyable beauté.(...) Jour après jour j'ai nourri mon regard du magique spectacle, et il exerçait, à chaque fois, le même pouvoir. »

De l'autre côté du delta, se trouve Macao, portugaise depuis quatre siècles, à la réputation sulfureuse de « nid de contrebandiers, royaume de l'opium, paradis de la débauche, enfer du  jeu. »   Pourtant  Kessel découvre « une petite ville blanche et charmante, somnolente, ordonnée et propre jusque dans les plus pauvres quartiers chinois ». Il va apprendre que la grande époque des établissements de jeux, de prostitution et d'opium est passée et ne subsiste que deux grands hôtels, où tout continue pourtant à tourner… quasiment à vide, pour ne pas perdre la « face ». Histoires surprenantes glanées en cours de  séjour : « l'homme à l'oreille coupée », « la grève des artificières », « le contrebandier des chiens », « Miss Coca-cola », et c'est avec beaucoup d'humanité et de désolation qu'est évoqué « l'innombrable peuple des enfants des rues », mendiants dès le plus jeune âge...

Kessel sait à merveille nous raconter ces villes métissées où se côtoient richesse et détresse extrême, trafics multiples, prostitution, mendicité… tout en évoquant le contexte politique de la Chine communiste, qui a poussé bien des chinois à l'exil vers ces « colonies européennes ».

Beau récit de voyage authentique au charme suranné des années cinquante où le journaliste et le romancier se confondent dans un style simple et fluide pour nous inviter à voir et écouter hors des sentiers battus. J'ai bien fait d'avoir réveillé ce livre !

"Tous les voiliers sont beaux et tous ils portent l'une des plus vieilles chimères de l'homme dans leur gréement ailé. Mais les barques des mers de Chine, parce qu'elles n'ont pas changé de dessin depuis des siècles, que leur château arrière s'élève sur l'eau comme une gueule de dragon, que leur armature est faite de bambous, que leurs voiles ont la forme et la couleur d'énormes feuilles rousses, aux nervures délicates, que dressées, inclinées ou couchées elles décorent leurs mâts de frondaisons miraculeuses, et que souvent, rapiécées, déchirées, elles laissent passer à travers leur flottante tenture le feu du soleil et l'azur du ciel, que leur équipage est fait d'hommes ou des femmes aux yeux bridés et secrets - ces barques des mers de Chine dépassent toutes les autres en pouvoir de mythe et d'évasion. " C




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