Germaine Tillion, aventurière de l'humanité

Par André Daviaud.

Quand le cercle des Causeuses a proposé le thème : femme-aventurière, j'ai assez vite pensé à Germaine Tillion.


C'est une femme extraordinaire au plein sens du terme. Née en 1907, elle fait des études d'archéologie, de préhistoire, d'histoire des religions, d'égyptologie, de folklore celtique et surtout d'ethnologie à une époque où ce n'était pas courant pour les femmes.  Ce qui l'intéresse passionnément, ce sont les autres.
 
Sa première expérience marquante, elle la fait durant les années 1935-1936 en Algérie parmi les Berbères, dans le massif des Aurès. D'abord accompagnée par une autre femme, elle poursuit ensuite seule sa mission en partageant la vie des gens, en recueillant de nombreux contes et légendes. Au début, elle ne perçoit pas de problèmes majeurs, mais la rencontre avec des Algériens lui fait prendre conscience d'un racisme persistant. Ce sera un de ses principaux combats : dénoncer ce fléau.

Lutte contre les nazis

De retour en France en 1940, après une deuxième mission en Algérie, elle se lance dans un autre combat : la lutte contre les nazis. Elle entre dans le réseau de résistance connu sous le nom de  « Réseau du Musée de l'Homme ». Après plusieurs arrestations, elle en prend la tête puis intègre le réseau Gloria. En 1941, l'infiltration d'un agent de l'Abwehr (le service de renseignement allemand) entraîne de nombreuses arrestations.

Là, je m'arrête dans ma lecture de l'histoire de Germaine Tillion. Je n'en crois pas mes yeux. L'agent de l'Abwehr est un prêtre : l'abbé Robert Alesch, vicaire de La Varenne-Saint-Hilaire. Un prêtre agent des Allemands ! De quoi faire perdre la foi  en l'homme sinon en Dieu ! Germaine lui avait fait confiance.
C'est un homme qui mène une double vie : prêtre le jour, il rejoint la nuit ses deux maîtresses et touche un salaire confortable de la part des Allemands. Il incite de nombreux jeunes à entrer dans la résistance pour les dénoncer ensuite. Il sera fusillé en 1949.

Le 13 août 1942, avec de nombreux autres, Germaine Tillion est arrêtée. Interrogée, torturée, elle apprend à la prison de Fresnes l'arrestation de sa mère. Cependant, elle poursuit clandestinement la rédaction de sa thèse. En 1943, elle est déportée au camp de concentration de Ravensbrück.

Pour résister aux terribles conditions de détention, elle se sert à la fois de son expérience d'ethnologue et de son sens de l'humour. En ethnologue, elle observe le système concentrationnaire et les comportements   humains   qui en découlent ; elle fera même une conférence devant les déportées en 1944. En humoriste, elle écrit sur un cahier soigneusement caché une opérette Le Verfügbar aux enfers. L'oeuvre mêle des textes humoristiques sur la dure condition des détenues et des airs populaires. Sa mère est gazée en mars 1945 et Germaine échappe à la mort grâce à l'aide de ses codétenues. Elle garde de cette épreuve la conviction que l'amitié, l'analyse et l'humour permettent de résister aux pires tentatives de déshumanisation. 

Une coalition de l’amitié

« Si j’ai survécu je le dois, d’abord et à coup sûr, au hasard, ensuite à la colère, à la volonté de dévoiler ces crimes et, enfin, à une coalition de l’amitié - car j’avais perdu le désir viscéral de vivre. Dans la captivité nous n’avions jamais douté d’être dans le droit fil de la vérité, et chaque nouvelle horreur nous confirmait dans notre certitude de ne pas nous être trompées en  choisissant de lutter contre toutes ces horreurs. » 
De retour en France, elle se consacre durant une dizaine d'années à la mémoire des résistants qui se sont sacrifiés et aux procès pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité.

En 1954, elle est à nouveau missionnée en Algérie pour observer la situation au début de ce qu'on appelait alors « les événements d'Algérie ». Elle constate ce qu'elle appelle « la clochardisation de la population algérienne ». Elle souhaite qu'un effort soit fait pour scolariser correctement et former professionnellement les jeunes Algériens du monde rural. Devenue membre du cabinet du Gouverneur Général en Algérie, elle élabore avec d'autres le projet de centres sociaux : «  Quand j’ai vu l’énorme épuisement de l’Algérie et l’énorme épuisement financier des familles, j’ai pensé que la seule chose qui était faisable était de nantir les paysans algériens d’un outillage leur permettant de survivre dans une ville, c’est pour ça que j’ai conçu les centres sociaux. Les centres sociaux, c’était un moyen de permettre à ceux qui le voulaient d’accéder  à   l’enseignement le plus élevé et à ceux qui ne le voulaient pas d’avoir un métier. J’ai considéré que l’on n’avait pas le droit de faire passer une paysannerie à l’état de citadin sans lui offrir un métier par personne. » 
Mais, suite au départ de Jacques Soustelle, elle quitte son poste et passe trois mois chez les Touaregs dans le Sahara avant de rentrer à Paris. Elle intervient dans le procès de Mohammed Ben Sadok, membre du FLN (Front de Libération Nationale algérien) et meurtrier du député Ali Chekkal. Cela entraîne sa rupture définitive avec Jacques Soustelle, témoin de l'accusation (l'accusé échappe à la peine de mort). 

Dénonciation de la torture

Traqué par les parachutistes de Massu durant la Bataille d'Alger en 1957, Yacef Saâdi, autre militant indépendantiste, sollicite une entrevue avec elle. Au bout de cinq heures de discussion, Saâdi et son groupe s'engagent à mettre fin aux attentats aveugles en contrepartie d'un arrêt des exécutions capitales. Yacef Saâdi est arrêté le 22 septembre ; étant donné qu'il a respecté son engagement concernant les attentats, Germaine Tillion s'efforce de le faire transférer de la garde des parachutistes à celle de la justice civile ; puis, lors de son procès, en juillet 1958 à Alger, elle témoigne à décharge (condamné à mort, il sera gracié par le général de Gaulle en 1959). Elle intervient ensuite auprès du Général de Gaulle, du cardinal Feltin, archevêque de Paris, et d'Albert Camus toujours pour défendre Yacef Saâdi et aussi dénoncer la torture en Algérie.

Après l'Algérie, elle contribue à créer dans les prisons françaises un service d'enseignement spécialisé dépendant de l'Éducation nationale. Durant les deux décennies de 1960 à 1980, elle réalise vingt missions scientifiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, s'engageant pour l'émancipation des femmes de Méditerranée, en particulier dans son livre Le Harem et les cousins (1966). Elle se bat aussi contre l'excision et l'esclavage moderne. Elle apporte son soutien aux harkis. Bref, elle est de presque tous les combats contre différentes formes d'oppression.

« Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre appelons les jeunes générations à faire vivre et transmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. Créer, c’est résister. Résister, c’est créer. » 
(extrait de l'appel des Résistants du 8 mars 2004, cosigné par Germaine Tillion)

Élevée à la dignité de Grand-Croix de la Légion d'honneur en 1999, elle meurt le 19 avril 2008 à 101 ans et entre au Panthéon le 27 mai 2015.

Mais, il y a d'autres raisons pour lesquelles je m'intéresse à Germaine Tillion. A partir de 1973, elle passe une grande partie de l'année à Plouhinec, en Morbihan, dans sa maison donnant sur la petite mer de Gâvres où elle a tout conçu. Elle s'y comporte en « écolo avant l'heure » selon des témoins de ses discrets séjours. 

Souvenir vivant à Plouhinec

Son souvenir est vivant à Plouhinec où la municipalité et l'association qui la célèbre ont donné un spectacle théâtral intitulé Germaine Tillion nous dit ainsi qu'une représentation de son opérette  Le Verfügbar aux enfers , en mai 2015.
J'y étais et je me souviens avec émotion des textes forts de ce grand témoin du XX°siècle. Et j'ai souri aussi en entendant les airs de l'opérette dont l'humour n'atténue en rien les horreurs de l'univers concentrationnaire, au contraire.
Sa maison va faire l'objet d'une restauration pour devenir un lieu culturel et pédagogique emblématique ouvert à la population préservant un milieu naturel exceptionnel. Il doit être inauguré en 2O24. Je ne manquerai pas de m'y rendre pour retrouver le message à la fois écologique et fraternel de la grande dame, cette aventurière de l'Humanité. C



 

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