Anita Conti, lanceuse d'alerte

Par Martine Bouquin.

Thème de lecture de ce mois de novembre : Hommes ou femmes aventuriers- ères !
Vaste projet de lecture. J’ai tout de suite pensé à ces femmes hors normes qui m’enchantent par leur façon d’aller jusqu’au bout de leurs projets, de leurs défis, de leurs envies. Qui sont ces femmes qui se lancent dans des aventures hors du commun ? D’où leur vient ce goût du risque, cette recherche de l’exploit, leur force, leur courage d’aller au-delà de leurs limites ? J’ai tant rêvé leur ressembler, de pouvoir les imiter. Par leur exemple et leur courage, toutes m’invitent à réfléchir sur les choix de ma vie, à ma capacité à avoir du cran, à dépasser mes peurs. Elles m’ont parfois indiqué le chemin à prendre pour être libre, téméraire.

J’ai donc ressorti de ma bibliothèque le livre de Catherine Reverzy, Femmes d’aventure, Du rêve à la réalisation de soi. Si vous ouvrez ce livre vous ferez la connaissance de : Christine Janin, première femme à gravir l’Everest le 5 octobre 1990, Alexandra Boulat, photographe-reporter reconnue sur les zones de guerre, Catherine Destivelle, grimpeuse, alpiniste, Peggy Bouchet, première femme à avoir traversé l’Atlantique à la rame, Nicole Viloteau, surnommée « la femme serpent », naturaliste, Rappelez-vous, elle nous avait emmenés.ées à la rencontre des dragons de Komodo…
Vous partirez avec elles, bien installés dans votre fauteuil sans risque de dévisser, de sauter sur une mine, d’essuyer un ouragan, ou de vous faire mordre par un cobra.

Première océanographe

De toutes ces femmes, et j’en oublie certainement, il y en a une dont le chemin de vie m’a interpellée. Elle est allée jusqu’au bout de son idée : aller là où les hommes n’acceptent pas la gente féminine. Peut-être, qu’étant proche des gens de la mer, je sais la dureté du métier de marins-pêcheurs, leur force, leur misogynie. Je me suis mise à sa place et imaginé la promiscuité à laquelle elle a dû faire face. Pas facile pour une femme de s’immiscer dans leur vie. Surtout à l’époque dont nous allons parler : « C’est un métier d’hommes. »
Voici une femme aventurière et extraordinaire du XXème siècle : Anita Conti. Première femme océanographe, Anita Beatrix Marthe Caracotchian Conti est née le 17 mai 1899 à Ermont -commune du Val d’Oise- et décédée le 25 décembre 1997. Presqu’un siècle à sillonner les océans. Seule femme parmi ces hommes aux visages burinés.

Nager avant de marcher

Son père Léon Caracotchian, d’origine arménienne, est médecin chirurgien. Sa mère Alice Lebon, élève dans la joie ses deux enfants Anita et Stéphane.
« J’ai su nager avant de marcher, dira Anita Conti, influencée dès son plus jeune âge par la passion de son père pour les océans.
Elle voyagera en suivant ses parents à travers l’Europe. En Bretagne et en Vendée, elle embarque régulièrement avec des pêcheurs qui lui donnent « l’envie de mer ». En 1914, à l’aube de la guerre, la famille se réfugie sur l’île d’Oléron où elle passe son temps sur des bateaux de pêche. Elle n’a que 13 ans. En 1927, elle épouse Marcel Conti. Un amour intense les relie et Marcel comprend, respecte et l’encourage dans ses recherches et travaux maritimes. Anita embarque ensuite sur des harenguiers, des morutiers pour vivre le quotidien des travailleurs des mers, elle observe et photographie la dure vie des marins. Golfe de Gascogne, régions arctiques, chalutiers, dragueurs de mines en Manche, Mer du Nord. Toujours acceptée par Les Hommes de mer, elle sait s’imposer gentiment. Imaginez la vie à bord pour une femme de cette époque. Les commodités partagées, le froid, la promiscuité. Elle fut la première femme militaire à bord de navires de guerre de la marine nationale. Active dans le déminage de la poche de Dunkerque, elle prend part à son évacuation en 1940.
Entre deux guerres mondiales, elle commença à dresser les premières cartes de pêche, alors qu’on ne disposait que de cartes de navigation. C’est à cette époque déjà, qu’elle s’inquiète des effets de la pêche industrielle sur les ressources.

Lanceuse d’alerte

Elle va donc sillonner, à bord d’un chalutier, les côtes africaines. Le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire et cela pendant 10 années. Elle photographie les fonds marins, les rivages, les estuaires et filme le dur quotidien des gens de la mer. Femme pionnière, elle propose d’élever des poissons en cages immergées pour subvenir au besoin de la population africaine. Fermes aquatiques : l’aquaculture est née.
Sa vie fut un combat de chaque instant pour s’imposer dans ce monde masculin, pour ouvrir grand les yeux sur le risque de perdre cette manne nourricière venant des océans. Lorsque je relis ses écrits sur sa vision du monde maritime du siècle dernier, je me dis qu’elle avait vu juste : la mer se vide. Première lanceuse d’alerte, elle est allée jusqu’au bout de ses idées. L’a-t-on écoutée ? C

Visite

À L’Estran Cité de la Mer à Dieppe, un espace est réservé à Anita Conti. Allez-y, vous y découvrirez des films, des photos et des documents d’une grande diversité.



 

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