Rentrée d'un itinéraire.

 

Par André Daviaud. 

Cette année, ma rentrée littéraire n'a rien eu de littéraire !
Lors de la traditionnelle fête de famille annuelle de fin août, ma sœur m'a offert un petit livret intitulé : L'abbaye de la Grainetière en Vendée.

A sa lecture, un flot de souvenirs m'est revenu. En effet, j'ai été guide dans cette abbaye entre 1970 et 1975 durant l'été. C'est un modeste monument qui conserve cependant une belle galerie de cloître et une élégante salle capitulaire. Perdue au milieu des champs, jouxtant la vaste forêt du Parc Soubise, l'abbaye est située à quelques kilomètres du désormais célèbre château du Puy du Fou qui n'était, durant mon enfance, qu'une ruine charmante et anonyme. Au volant de la Deux Chevaux familiale qui pliait sous le poids de ses sept passagers, mon père nous conduisait jusqu'à ce château près duquel il était né.

A l'horizon de l'abbaye, s'élève le mont des Alouettes.

J'ai relu ma jeunesse dans ce livre.

L'accueil des visiteurs, l'historique du monument qu'il fallait dérouler sans ânonner et sans avoir l'air de le réciter, les anecdotes qu'il fallait glisser durant la visite, le dimanche où la foule arrivait, et l'argent qu'il fallait compter avec minutie.

Il y avait l'argent des billets d'entrée et, surtout, surtout, celui des pourboires, qui constituait ma seule rémunération. Chaque soir, je comptais et recomptais la somme gagnée à la force de ma salive.

Il y avait cinq kilomètres entre la maison familiale et l'abbaye. Je les parcourais en chevauchant un vieux solex poussif ou parfois un lourd vélo si j'en avais le courage.

Les fantômes des moines qui avaient vécu dans ce lieu et  les ombres de quelques personnages historiques venaient chuchoter à mon oreille des cantiques en latin, mais j'y avais aussi des rendez-vous secrets avec des personnes bien plus en chair…

J'y écrivais des poèmes aussi, entre deux visites : 

Dans un chauffoir (1) imaginaire

Dans une abbaye de sept lieues

Entre Soubise la grand porte

Et les collines des aïeux

J'ai passé six étés baroques.


Sur un vieux solex fraternel

Chevaucheur de rubans lyriques

D'une tour l'autre et sans linceul

J'ai côtoyé dans les étoiles

Le clair-obscur de la parole


L'ombre des moines en jachère

Glissait sur le fil des étages

On disait que Louis le Septième

Et Bertrand de Got futur Pape

Avaient posé leurs pas inquiets

Parmi ces grimaces de pierre

Le temps d'un souffle et d'un murmure

Avec l'odeur du vieil étang

Les siècles creusaient leurs ratures

A même l'ocre des lichens


Léger comme un fil de la vierge

Le berceau des voûtes s'endort

Et les culs de lampes s'effacent

Dans le tremblement du lavoir

L'église est ouverte aux nuages

A la foule obscure des herbes

Et chaque ferme d'alentour

Porte vaguement sur son front

Une pierre arrachée aux arches

Comme un talisman vagabond


Dans un chauffoir imaginaire

Dans une abbaye de sept lieues

Entre Soubise la grand porte

Et les collines des aïeux

J'ai passé six étés baroques.


(1) Chauffoir : au Moyen-Age, seule pièce chauffée d'une abbaye où les moines se livrent à divers travaux d'intérieur, en particulier de la copie)

Voilà ma rentrée littéraire, c'est plutôt la rentrée d'un itinéraire, les retrouvailles avec mon passé. 


Des visiteurs célèbres

Un après-midi, car les visites n'avaient lieu que l'après-midi, je vois trois personnes s'avancer sous le cloître. Je m'approche pour leur demander s'ils désirent visiter. Et, ô surprise, je reconnais parmi eux immédiatement Madame Pompidou, dont la silhouette longiligne et le visage émacié étaient parfaitement identifiables. À mon grand regret, ils déclinent par manque de temps tout en affirmant que le monument était d'une beauté remarquable. J'aurais bien aimé guider dans ma petite abbaye une grande dame… 

J'ai assisté aussi dans ces lieux au tournage d'un film de Robert Bresson intitulé « Lancelot du Lac ». Le réalisateur ne voulait pas de visites mais j'en faisais quand même quelques unes durant les nombreuses pauses entre les prises. Bresson était un metteur en scène obsessionnel qui n'employait que des acteurs amateurs en leur imposant un jeu mécanique où tout geste naturel devait être banni. Il recommençait de nombreuses fois une même scène et je me souviens que Lancelot a dû ressortir de l'escalier à vis de la tour de l'Abbé pour avoir rejeté ses cheveux en arrière dans un geste habituel qui n'était pas prévu par Bresson.

Lors de la première du film, dans la ville voisine des Herbiers, un ancien habitant du temps où la Grainetière était une ferme assurait qu'on le verrait sûrement en gros plan car il avait joué le rôle d'un valet tenant un cheval par la bride. Sa déception fut grande : Bresson n'avait filmé que... ses jambes ! C


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