Chaque pas vers l’éternité
Par André Daviaud
J'ai visité beaucoup de maisons d'écrivains : celle de Georges Sand à Nohant, avec sa cuisine à l'ancienne, son salon où elle recevait Musset, Chopin ou Flaubert, celle de Hugo à Villequier en Normandie, où s'est noyée sa fille Léopoldine, « le château de ma mère » qu'avait acheté Marcel Pagnol en Provence, la maison d'Edmond Rostand au pays basque. Je me suis rendu aussi avec émotion sur la tombe de Giono à Manosque, sur celle de Camus à Lourmarin, sur celle de Brassens au cimetière « plus marin que celui de Paul Valéry » à Sète, sans compter les innombrables dernières demeures d'écrivains au cimetière du Père Lachaise à Paris.
Mais ma préférée, celle que j'ai fréquentée à de nombreuses reprises, c'est celle de René Guy Cadou, à Louisfert près de Chateaubriant en Loire-Atlantique. Mort à 31 ans, Cadou a eu le temps de produire une œuvre poétique marquante. Instituteur, fils d'instituteur, comme Alain Fournier (autre auteur dont j'ai visité la maison), Cadou a vécu quelques années dans cette maison d'école où il est mort en 1951. Son épouse, Hélène, a consacré sa vie à faire connaître son œuvre, en négligeant un peu la sienne.
J'ai bien connu Hélène. Je l'ai rencontrée souvent.
Le texte qui suit est le témoignage d'une de mes visites à Louisfert.
" Rencontrer Hélène Cadou, c’est rencontrer la mémoire du cœur.
Vous arrivez de l’enfer de la route jusqu’à la maison d’école, toute droite au bord du ciel. Vous traversez la cour, à cloche-pied sur la marelle, en poussant le petit pavé de l’émoi.
C’est à Louisfert, près de Chateaubriant, devenu grâce à Hélène Louisfert-en-poésie.
Elle vous attend sur le seuil de la classe. On entre dans l’intimité d’un monde. Vous êtes un Brancardier de l’aube accédant à Poésie, la vie entière. Vous vous asseyez. Elle vous parle de lui, de son sourire immense. Peu à peu se tait votre vie. Vous êtes en 1941 sur un chemin de campagne quand passent les camions des hommes qui vont être fusillés. Les parcs et les châteaux sont là, l’éclatement des cris d’enfants qui ont fui les villes détruites.
Elle vous raconte comment il a franchi la guerre, en réclamant sa liberté, comment la poésie l’a sauvé, un jour, dans la naïveté de son écharpe rouge. Aux Allemands qui l’arrêtaient il a dit, dans leur langue, comme un laissez-passer magique : « Je suis poète. »
Vous parcourez les vitrines du souvenir, qui mêlent cendrier bizarre et visages d’hommes. Vous parlez de la classe, de l’inspecteur et de la double vie. Vous passez de l’autre côté, du côté des Lilas du soir. La cuisine bleue vous accueille, ce bleu de la tendresse, ce bleu inimitable. Vous montez vers la chambre. Chaque pas vers l’éternité. Elle ouvre la fenêtre sur la campagne, les blés et la forêt pavée. Rien n’a changé. Sa main de plâtre sur la table. Le dernier poème à l’encre de Chine. Et elle vous parle de la cérémonie, du rite de cinq heures du soir. Le poème qui se fait, arraché peu à peu à la gangue des glaises, désenglué du quotidien, et lavé lentement des ratures du doute, gratté au feu des rêves et recopié à la plume d’oiseau.
Et vous parlez ensemble de la naissance, des parcs et des châteaux. De la parenté des enfances. La chambre vous élève, sur les hautes mers de la vie, cette vie qu’elle a consacrée toute entière à la mémoire de René.
Quand vous évoquez l’avenir, il est là brusquement dans la chambre." C
René Guy Cadou, Poésie la vie entière, Éditions Seghers, 2023 (1ère édition 1975), 560 pages
A Louisfert, une étoile filante
Par France Rioual
S’il n’est jamais cité, c’est bien de René Guy Cadou dont il s’agit. Avec Un sourire solaire, André Daviaud consacre au poète (1920-1951) une œuvre originale qui se lit comme un roman et se savoure telle une poésie. Ponctué de repères historiques, le récit embarque le lecteur dans la Brière natale de celui qui aura tôt fait de découvrir « le plaisir de la bouche à remâcher les mots. » Il assiste à la naissance de cette étoile filante « incapable de cracher (ces mêmes) mots pour s’en débarrasser. » Il partage ses premiers émois cinématographiques et littéraires à la grande ville, le suit dans le cercle de ses amis poètes là où « l’Homme, la Poésie et la Liberté s’affichent. » Il côtoie la barbarie d’une France en guerre. Et, il emménage avec Hélène ; dans cette maison d’école qui « les attendait couchée le long de la route. », celle-là qui « s’est redressée sur ses épaules quand a retenti leur pas.» Le lecteur entre sur la pointe des pieds pour, l’intimité du couple, respecter. Mais une fois la classe terminée, quand l’instituteur cède toute la place au poète, il le rejoint dans « la chambre sur la mer des champs », un peu troublé. Bientôt, il pleure le poète au départ précipité. C
André Daviaud, Un sourire solaire, Bécherel :Éditions Les Perséides, 2008, 205 pages.
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